Surya du Lamentin, 20 ans, 2ème année d’école d’infirmière en Métropole :
Pour moi, le carnaval n'est rien de plus qu'un prétexte utilisé par certains pour faire des choses qu'ils n'oseraient pas faire dans la vie de tous les jours. Je me souviens que dans mon enfance, ma mère m'avait emmené voir brûler le fameux "Vaval". Alors que je n'avais qu'environ 7 ans, je me souviens de ce jour car il y a eu un meurtre. J'ai encore le souvenir d'un jeune qui se vidait de son sang. Ce qui m'a le plus choquée, c'est que ma main que j'avais par mégarde laissée traîner sur le vieux pont du carrefour Mahault était remplie du sang de ce jeune homme que j'ai vu mourir. Cette scène m'a laissée un mauvais souvenir du carnaval.
Eric du Lamentin, 33 ans, assistant d’études :
Le carnaval est un espace dans le temps qui se prépare et que l'on aménage pour échanger du bonheur. Ce bonheur aussi éphémère qu'il soit s'adresse à tout un chacun quelque soit ses origines et sa condition sociale.
On peut être soit même, quelqu'un d'autre ou devenir tout le monde.
La qualité du spectacle et l'émotion suscitée auprès des spectateurs et carnavaliers sont liés.
Pour vivre un bon carnaval, il faut des participants, quelque qu'ils soient, de qualité. Il convient donc d'être vigilant sur :
- sa lucidité : toujours rester maître de sa personne et de son comportement (pas besoin d'alcool, de drogue ou autre euphorisant...)
- sa tenue : les déguisements les plus beaux sont les plus couvrants (il faut garder sa nudité au placard).
Le carnaval est une fête populaire, touristique, ouverte à tous. Les dérives d'année en année conduisent déjà dans certaines communes à l'annulation de manifestations. Chacun doit donner l'exemple.
Linda de Sainte-Luce, 38 ans, formatrice :
Détachement, recueillement, réflexion, introspection, regroupement et partage avec d'autres Chrétiens pour mieux appréhender le Carême, prière ....
Xavier de Sainte-Luce :
Le carnaval représente un moment de vacances, particulièrement de repos. En d’autres termes, je ne cherche ni à participer, ni à regarder ce qu’il en est. Je fais en sorte de me retrouver loin des manifestations carnavalesques. Le carnaval ne m’a jamais intéressé.
Temps de repos, pour Xavier, de préparation au Carême pour Linda, mauvais souvenir pour Surya, moment de bonheur pour Eric, le carnaval ne laisse pas indifférent. Indépendamment de l’usage qui en est fait, c’est d’abord un temps dont on dispose librement, donc un espace de liberté.
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Un temps de l'année
Le carnaval s’inscrit dans un cycle annuel, à un moment précis du calendrier, entre la Présentation du Seigneur au Temple (fêtée le 2 février et communément appelée Chandeleur) et le Carême dont il précède le début. Ceci implique que le carnaval ne coïncide pas avec Noël comme on le voit de plus en plus. Pourtant, chaque année, nous nous habituons à chanter Noël sur des airs de carnaval. En outre, des groupes à pied reprennent leurs activités le jour de l’Epiphanie alors que les Chrétiens sont encore dans le temps de Noël. Cet amalgame des 2 fêtes enlève à chacune sa finalité.
Quand on sait le temps de préparation aux fêtes pascales que constitue le Carême – malheureusement plutôt vécu comme un moment de tristesse et non de retraite avec le Seigneur - on comprend mieux qu’il s’ouvre après les festivités du carnaval. En effet, n’ayant pas tous les mêmes aptitudes, la même endurance dans l’effort, le carnaval est une petite réserve de réjouissances que nous faisons avant d’aborder la route du Carême qui nous conduira à Pâques. On peut donc parler de 3 jours de liesse (ou même 4 jours si on tient compte du mercredi) pour aborder 40 jours de retraite.
Notre société tend à faire du carnaval le temps de toutes les permissivités ; ce serait même sa caractéristique principale. Notons cependant que c’est une spécificité martiniquaise puisque qu’en Guadeloupe notamment, les carnavaliers doivent respecter des règles telles que l’inscription dans un groupe, la souscription d’une assurance, etc. Du coup, les « groupes malpropres » qui déferlent dans nos rues n’existent pratiquement pas ailleurs. Certes, ils ont l’avantage de permettre à tous, sans aucune condition, de participer à la parade et à nos chers vidés, mais ils sont également le lieu de bien des dérives. Et parce qu’il a compris ce que doit être le carnaval pour lui (une bouffée d’air avant la montée vers Pâques), le jeune Chrétien peut mieux discerner le sens à donner à ces jours de fête. Il est alors en mesure d’entendre les paroles de l’apôtre Paul aux Romains : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » (Romains 12, 1-2).
Dans son témoignage, Eric qui apprécie ces instants de fête exprime clairement son inquiétude quant à la tournure du carnaval et sonne l’alarme. Il est du ressort de chacun de faire en sorte que la joie soit encore au rendez-vous en se respectant et en respectant l’autre.
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Un espace de liberté
Pour beaucoup, le carnaval signifie liberté et comme disait Surya, au nom de cette liberté, tout et n’importe quoi est possible. Qui dit liberté, dit aussi choix à poser. Ainsi, face à cette liberté décrétée par notre société, le jeune Chrétien se trouve à la croisée de chemins. Quelle route va-t-il alors prendre ? Devant pareilles interrogations,
- il doit se souvenir qu’il est d’abord un baptisé et donc qu’il a en lui l’Esprit Saint : est-ce que, par exemple, la liberté affichée par les chants, danses, déguisements à connotation pornographique est inspirée par l’Esprit Saint ? « Ne le savez-vous pas : votre corps est un temple de l’Esprit Saint, qui est en vous, venu de Dieu, et vous ne vous appartenez pas. » (1 Corinthiens 6, 19)
- il doit se souvenir qu’il est enfant de Dieu, créé à son image : tous les costumes, en particulier ceux du mardi gras, honorent-ils cette grâce ? « Vous avez été achetés si cher ! Glorifiez donc Dieu dans votre corps. » (1 Corinthiens 6, 20)
- il doit se souvenir que tout son être a vocation à louer le Seigneur : est-il concevable que ces mêmes lèvres qui prient et rendent grâce au Seigneur puissent être l’instrument d’injures et de chants obscènes ?
Par ailleurs, des soirées sont organisées sous des thèmes indignes de baptisés. Or, force est de constater que c’est précisément ces thèmes qui font leur succès. Qui donc va à ces soirées ? Et qui sont ceux qui en repartent ivres ou s’y montrent violents, quelquefois jusqu’à tuer ?
Enfin, outre le fait que notre département détienne le triste record des avortements, les grossesses et les avortements chez les jeunes filles culminent dans les mois qui suivent le carnaval.
Le témoignage qui suit confirme encore le ressenti d’Eric et interpelle sur le plan spirituel mais aussi sur le plan socio-économique.
Marie-Eve de Fort-de-France, 23 ans :
Depuis l'âge de 6 ans j'ai été immergée dans le monde du carnaval avec ma sœur de 13 ans mon ainée. En effet, chaque année nous défilions avec un groupe. Et ce fut ainsi jusqu'à mes 10 ans. J'aimais beaucoup ça. J'aimais l'originalité des costumes de mon groupe, mais aussi celui des autres. Il y avait beaucoup de recherches, de couleurs et l'ambiance était bon enfant si je puis dire.
Mais au fil des années, j'ai constaté que le carnaval n'était plus ce qu'il était. En effet, les chants comme "Voici le loup", "Kannaval à gogo", etc, ont laissé place aux injures, aux jurons et à la pornographie. Les beaux déguisements riches en couleur et affirmations de la culture martiniquaise ont laissé place à des tenues qui laissent voir les parties les plus intimes du corps. La vulgarité et la violence ont remplacé la convivialité, et tout ça semble normal pour tout le monde. Il n'y a plus aucun respect pour les gens qui regardent. On oublie même la présence des enfants qui répètent et reproduisent tout ce qu'ils entendent.
Or, les parades sont souvent télédiffusées et pas seulement en Martinique. Quelle belle impression de la Martinique pour les étrangers!!! Rien à voir avec le carnaval de Rio ou même de Trinidad and Tobago. Je trouve encore plus dommage que les Chrétiens ne cherchent pas à se démarquer des autres et ce sont ces mêmes personnes qui vont à la messe le dimanche qui paradent dans les rues presque nues en injuriant.
Le carnaval n'est pas une mauvaise chose en soi, mais c'est ce que nous en faisons avec toutes nos dérives et nos abus qui en font ce qu'il est devenu aujourd'hui. Je vais au carnaval, mais depuis bientôt 10 ans je ne parade plus dans les rues. Je regarde avec ma mère et je fais attention à ce que je porte. Etre déguisé ne signifie pas être nu. N'oublions pas durant ce temps de carnaval que nous sommes des Chrétiens baptisés, que notre corps est le temple du Saint-Esprit et que nous devons le respecter.
Le carnaval étant un moment de liberté, comme Linda, des Chrétiens tendent à profiter de ces jours pour vivre une retraite, ou comme Xavier pour se reposer. A chacun sa formule pour occuper ce temps, l’essentiel étant de rester lié au Christ. L’Eglise n’est pas opposée au carnaval, pas plus qu’aux réjouissances. Elle s’inquiète seulement de voir ses enfants se laisser entraîner sur des sentiers qui ne sont pas ceux du Christ : c’est le cas toutes les fois où le Chrétien ne se tourne pas vers le Seigneur avant d’agir. Aussi, « quoi que vous fassiez, que vous parliez ou que vous agissiez, faites-le toujours au nom du Seigneur Jésus Christ, rendant grâces par lui à Dieu le Père. » (Colossiens 3, 17)

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