Ensemble, découvrons les origines de notre carnaval martiniquais. Dès les premières décennies de colonisation se déroulaient déjà des réunions festives d’esclaves de même origine ethnique se réunissant par affinités linguistiques et culturelles. Se regroupant les dimanches après-midi jusqu’à l’aube du lundi matin malgré les interdictions en vigueur, ces derniers célébraient jusqu’à la transe les chants, les danses et rythmes spécifiques de leur terre d’origine. Au milieu du XVIIIème siècle, ces regroupements sont dénommés Nations. Composant avec le calendrier dominant et profitant de toutes les fêtes chômées, qu’elles soient religieuses ou profanes pour s’exprimer en public, ces organisations étaient structurées en une hiérarchie formelle des membres élus : Roi, reine, vice-roi, vice-reine, première, seconde, troisième et quatrième demoiselle d’honneur, etc.
Royaumes sans terre, Nations hors-sol ou cours en exil, elles constituaient autant d’espaces clandestins à l’intérieur desquels les sociétés africaines essayaient de se reconstruire, de manifester un propre en réactivant leur mémoire collective, en se dotant de hiérarchie, de grades et de règles pour suppléer à la destruction de leurs lignages traditionnels.
Avant la révolution, nombre de Nations se créolisent et perdent progressivement leurs caractères «ethniques», car leurs membres sont des individus nés dans les îles qui composent désormais la majorité de la main d’oeuvre servile.
Elles apparaissent alors sous les dénominations de Convoi : Convoi de la Rose, Convoi des Œillets, de Jasmin mais aussi Convoi des Indes, Convoi des Unis ou de L’Espérance.
Fêtes, danses, réjouissances ou bals de carnaval ne sont pas les seuls buts de ses Sociétés d’esclaves qui semblent nombreuses en milieu urbain et qui procèdent également à une entraide mutuelle entre associés ainsi qu’aux funérailles de leurs membres. Elles sont également soupçonnées d’être l’endroit de cérémonies secrètes et rituelles célébrant les mystères du continent noir.
Les nombreuses interdictions de mascarades ou de déguisements qui frappent le carnaval, de la seconde moitié du XVIIIème siècle aux lendemains de l’abolition de 1848, disent la hantise des autorités coloniales de le voir dégénérer en affrontements entre membres de convois rivaux.
Autorisées avant et pendant les Jours Gras, les manifestations privées telles que bals ou soirées carnavalesques, plus libres que les défilés de rue, sont l’occasion de fêtes somptueuses organisées par ces Sociétés qui rivalisent d’élégance de faste.
En milieu rural, le carnaval qui se déroule sur l’habitation au son du tambour réunit esclaves
et libres des alentours alors qu’un bwabwa est promené au son des conques de lambi.
Leur nombre déclinant peu à peu après l’abolition, les anciens Convois qui semblent mal s’accommoder de la liberté se voient concurrencer par les Confréries charitables de Saint Joseph et de Notre Dame du Bon Secours instaurées par l’Eglise pour diminuer leur influence alors que les Mutuelles légales qui sont désormais instaurées prennent en charge l’entraide financière qu’elles offraient à leurs membres.
Dénommés initialement Bamboula leurs rassemblements festifs du dimanche après-midi sur la Savane de Fort-de-France sont désignés comme Bel-air à la fin du XIXème siècle. A cette époque, le terme vidé désigne les danses qu’ils perpétuent sous l’égide d’une danseuse vedette dénommée reine du bel-air.
Continuellement bridé par l’ordre esclavagiste régnant avant 1848, ce n’est qu’après l’abolition de l’esclavage et donc dans la seconde moitié du XIXème siècle que le carnaval martiniquais va acquérir ses lettres de noblesse populaire. Il a pour théâtre la ville de Saint-Pierre qui à cette époque s’était déjà affirmée comme la capitale culturelle et économique des Petites Antilles.
Le carnaval de Saint Pierre, à l’instar de cette ville, fut dès le 19ème siècle l’un des plus riches des Antilles, avec trois caractéristiques particulières : c’était d’abord un carnaval populaire, il bénéficiait ensuite d’une créativité musicale exceptionnelle et enfin, si le jour il occupait la rue, le soir il se poursuivait dans des salles de bal que l’on appelait alors des « casinos », désignant par là des lieux de jouissance qui ne fermaient leurs portes qu’au petit matin.
Les carnavaliers reproduisaient par leurs gestes et leurs danses des scènes du travail de la canne, théâtralisant, avec un réalisme remarquable, les différentes étapes de cette production agricole de l’époque. C’est que le peuple pouvait désormais exorciser cette souffrance des travailleurs de la canne qu’il connaissait bien et donner libre cours à ses élans de festivité, ceci sans réserve.
Dès le mois de janvier, chacun s’apprêtait à cette fête exceptionnelle qui allait durer deux bons mois. On préparait robes et costumes, masques et loups, accessoires et chaussures appropriés pour ceux qui le pouvaient. Les autres, issus des classes les moins fortunées, confectionnaient ce qu’ils pouvaient avec des matériaux de récupération, y compris des mâchoires animales nécessaires à la réalisation de certains masques. Chaque dimanche précédant les jours gras, la foule envahissait les rues dans une liesse indescriptible. C’est que le carnaval de Saint Pierre, les créations musicales, les thèmes et les travestis ne sont pas coupés de l’intense vie sociale de la ville.
Ce carnaval réputé avant la catastrophe de 1902 a essaimé en Martinique pour reprendre véritablement en 1906 à Fort-de-France, d'après des sources concordantes, mais aussi en Guyane et dans la Caraïbe.
Après la seconde guerre mondiale, des artistes comme Loulou Boislaville, Alexandre Nestoret et Paulette Nardal lancent le Concours de la chanson créole avec pour objectif de susciter l’apparition de rythmes et de textes relatifs au carnaval comme cela se passait du temps de Saint-Pierre. Le premier comité du carnaval créé en 1964 est dirigé par le Dr Rose-Rosette, puis lui succède le Comité actif du carnaval et Carnaval Foyal menés par Mmes Grazielle Bontemps et Solange Londas. Passionnée par la cause du carnaval, c’est cette dernière qui instaure en 1964 le Carnaval des écoles et qui s’occupe du Concours de la chanson créole comme de l’élection de la Reine de Fort-de-France avant d’organiser ceux du Mini-roi et de la Mini-reine des écoles Maternelles. D’autres personnalités comme les époux Bibas et Psyché, Mmes Coppet et Lung-Fu sont associées au renouveau du carnaval foyalais, notamment avec des groupes à pied et une certaine recherche dans les costumes.
Dans les années 1970, certaines communes, qui relancent leur défilés carnavalesques et se dotent de Comités, procèdent à l’élection de leurs reines ou de leurs rois avant de créer le Comité de carnaval du sud qui chaque année opère à un rassemblement regroupant les carnavaliers de plusieurs villes du sud de l’île.
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samedi 5 mars 2011
Le carnaval made in 972 : d'où vient-il ?
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972,
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paru le
samedi 5 mars 2011
à 00:41
