Comme elle est grande, la parole humaine ! Les premières paroles, les premiers mots d'un enfant, d'un bébé «maman, papa» comme ils sont attendus, espérés, accueillis avec émotion et tendresse par son père et sa mère.
Les dernières paroles d'un mourant, comme elles ont du poids, comme elles ont force, force d'un testament.
Les paroles de l'amour, dites ou chantées, comme elles sont ardentes, brûlantes, le premier «je t'aime», et tous les autres, qui ont toujours un goût de première fois.
Les paroles de nos abîmes intimes, les paroles qui révèlent nos failles secrètes, dont la psychanalyse nous apprend que les dire, c'est déjà guérir.
Et les paroles qui confessent notre péché, dont l'Eglise, bien avant la psychanalyse, nous assure que les dire c'est déjà grandir, dans la vérité, dans la liberté.
La liberté ! Parler, c'est être libre, parler c'est se libérer. C'est pourquoi tous les totalitarismes et tous les intégrismes n'ont qu'un but, au service duquel ils emploient tous les moyens: faire taire.
Faire taire c'est tuer; libérer la parole, c'est faire vivre. En libérant la parole du muet, JESUS le fait vivre, revivre. C'est un geste de vie, c'est un signe de résurrection: «ouvre-toi!».
Ouvert ! Ouvert le tombeau de JESUS au matin de Pâques : la vie lui a été rendue.
Ouvert ! Ouvert est le muet à qui la parole est rendue. Ne dit-on pas muet comme une tombe ? Le mutisme, la parole empêchée, c'est le tombeau, c'est la mort. La parole libérée, c'est comme une tombe ouverte, c'est Pâques pour le muet, la vie lui a été rendue parce que la parole lui a été rendue.
Mais parce que la nature humaine est ainsi faite, pétrie de grâce, mais meurtrie de péché, la parole, la parole humaine, si grande, la parole faite pour la liberté, pour la vie.., la parole peut se retourner contre l'homme.
La parole peut perdre souffle et devenir baratin.
La parole peut perdre du poids et devenir creuse et vide.
La parole peut perdre de son utilité et devenir bavardage.
La parole peut perdre le sens et devenir commérage.
La parole peut perdre la charité et devenir médisance.
La parole peut perdre la tête et devenir calomnie.
La parole peut perdre la vérité et devenir mensonge.
La parole peut perdre la liberté et devenir endoctrinement.
La parole peut perdre la vie et devenir venin, mortelle.
La parole peut engendrer la mort, refermer, enfermer, étouffer, enterrer.
Pourquoi ? Comment ? Chaque fois que la parole oublie qu'avant elle existait, qu'avant elle existera toujours et doit toujours exister le silence, L'écoute. Le muet comme tous les muets était muet parce qu'il était sourd. Il n'entendait pas, il ne pouvait rien écouter, et c'est pourquoi il ne pouvait rien dire, il ne parlait pas. La parole naît de l'écoute. Il ne sait pas parler, celui qui ne sait pas écouter.
Avant de lui toucher la langue, JESUS lui met les doigts dans les oreilles. L'écoute libère avant la parole pour que la parole soit vraiment libre. La parole la plus libre qu'une créature ait donné à DIEU c'est certainement le OUI de MARIE à l'Annonciation, un OUI longuement mûri dans le silence contemplatif, à l'ombre de la Parole de DIEU méditée et retenue.
La parole est stérile si elle n'est pas fécondée par l'écoute. C'est ce qu'on appelle un dialogue de sourds : paroles sans écoute. Paroles inutiles, communication impossible, chacun est fermé en lui-même!
C'est pourquoi, juste après avoir libéré la parole chez le sourd-muet, après l'avoir ouvert à la relation, à la communication, JESUS impose le silence à tous les témoins du miracle: il leur recommande de ne rien dire à personne.
Parce qu'ils étaient tellement frappés par l'extraordinaire événement, ils n'avaient pas le recul nécessaire pour en mesurer la portée véritable et le sens authentique. C'est dans le silence, que JESUS veut leur imposer, qu'ils pourraient comprendre, et ensuite communiquer: ouvrir les oreilles et délier la langue d'un sourd-muet, n'est pour JESUS qu'un signe qu'il donne de sa véritable mission, qui n'est pas de guérir à tour de bras, la rumeur publique aura vite fait de le colporter, mais d'ouvrir les cœurs à l'écoute de DIEU et à la réponse d'Amour. Cela seul le silence peut l'accueillir, le méditer et le comprendre.
Il y a ainsi en surface de nos vies foule de bavardages et de paroles futiles, inutiles, voire néfastes. Il faut imposer silence à tout ce qui fait du bruit, du vent, du remous, de 1'écume. Et du cœur du silence naîtra une parole authentiquement vivante et vivifiante, une parole digne de nous parce qu'elle aura mûri au soleil du silence, parce qu'elle sera fille de L'écoute.
Ecouter c'est permettre à l'autre de parler, de libérer sa parole, de lui permettre d'exister. Si tu ne sais pas encore écouter ce qui vient du cœur de l'autre, ce qui vient du cœur de DIEU, alors tais-toi encore. Et quand tu auras écouté dans le silence de ton cœur, alors ouvre-toi et parle: ta parole sera pour la vie et pour la liberté, bienveillante et bienfaisante, une parole qui n'enfermera pas l'autre dans la critique et la condamnation, une parole qui ne tuera pas l'autre d'un revers de langue.
Voilà bien, frères et sœurs, de sages résolutions pour commencer une nouvelle année pastorale: passer nos paroles au crible du silence. Les paroles qui passent le silence sont toujours les plus fines.
De sages résolutions aussi pour notre vie en Eglise, en communautés d'Eglise : redonner place au silence qui féconde la parole. Nos églises ne seraient-elles pas parfois trop bruyantes? Nos célébrations trop «parlantes»? Nos prières trop bavardes ?
Dans un monde de bruit, témoigner de la valeur du silence, éduquer à l'écoute, c'est le premier pas de la mission. Car l'homme est plus souvent sourd que Dieu n'est muet. Et plus encore, l'homme est assourdi par tout ce qui veut le retenir à l'extérieur, en surface de lui-même. Dans la profondeur, à l''intime du cœur, c'est là que Dieu parle à qui veut bien l'écouter.
¤ Père J.P Soulet
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