La faim et la soif
Ø La faim et la soif
expriment deux besoins vitaux. Ce sont deux notions qui contiennent une
certaine ambivalence : à la fois un bien, mais aussi un mal : ressentir la faim
et la soif sont d’une certaine manière un bien, sinon on mourait ; pourtant cela
peut être aussi un mal ; cf. le désastre humanitaire de tous ceux qui souffrent
de la faim et de la soif. On retrouve cette ambivalence dans la Bible.
Ancien Testament
Ø « Au désert, Dieu a
fait passer son peuple par la faim pour l’éprouver et connaître le fond de son
cœur » (VTB), et pour le faire grandir : Dt 8 : « Souviens-toi de tout le chemin que le
Seigneur ton Dieu t’a fait faire pendant quarante ans dans le désert, afin de
t’humilier, de t’éprouver et de connaître le fond de ton cœur :
allais-tu garder ou pas ses commandements ? Il t’a fait sentir la faim,
il t’a donné manger la manne que ni toi ni tes pères n’aviez connue, pour te
montrer que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui sort de la
bouche de Dieu. »
Ø Mais au-delà de ces
besoins physiques, Israël doit découvrir une autre faim, découvrir qu’il
dépend totalement de Dieu, source de toute vie : « Voici venir des jours –
oracle du Seigneur, où j’enverrai la faim dans le pays, non pas une faim de
pain, non pas une soif d’eau, mais d’entendre la Parole de Yahvé. » (Am 8,
11) La faim et la soif, ainsi que le don de la manne, sont comme une éducation
pour faire découvrir une faim et une soif plus profonde. La manne symbolise ce
qui sort de la bouche de Dieu.
Ø Lorsque le peuple de Dieu tend à s’enfoncer dans
l’opulence, et à oublier le Seigneur, il faut que celui-ci ramène son peuple
au désert, pour qu’à travers la faim et la soif, il retrouve son premier
amour : « Voici que je vais la séduire, je la conduirai au désert, et là je
parlerai à son cœur. Là elle me répondra, comme aux jours de sa jeunesse, comme
au jour où elle montait du pays d’Égypte. » (Os 2, 16)
Ø La faim et la soif physique sont comme le passage
obligé pour rejoindre la faim et la soif profonde de l’être
humain.
Nouveau Testament
Ø Jésus, commence son
ministère par un jeûne de 40 jours. Il inaugure sa mission en prenant sur
lui la condition de l’affamé et de l’assoiffé. Mais aussi, il revit ainsi le
chemin d’Israël au désert pendant 40 ans.
Ø Il soulage la faim de ceux
qui le suivent, lors de la multiplication des pains. Une manière de se
présenter comme celui qui vient rassasier la faim profonde de l’être
humain. Dans St Jean, dans le discours sur le Pain de vie qui suit la
multiplication des pains, Jésus reproche à ceux qui le suivent de ne pas avoir
compris le sens de ce miracle : « Vous me cherchez nos pas parce que vous
avez vu des signes (un miracle qui a un sens pour vous), mais parce que
vous avez mangé du pain et avez été rassasiés. Travaillez non pour la nourriture
qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle, celle que
vous donnera le Fils de l’homme. » (Jn 6, 26-27) Jésus appelle ses
disciples, nous appelle à passer à un autre niveau. Il dira encore : « Je
suis le pain de la vie, qui vient à moi n’aura jamais faim, qui croit en moi
n’aura jamais soif. » (Jn 6, 35)
Ø Le dialogue de Jésus
avec la femme Samaritaine tourne autour de la soif : « Quiconque boit de
cette eau aura soif à nouveau. Mais quiconque boira de l’eau que je lui donnerai
n’aura plus jamais soif. L’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau
jaillissant en vie éternelle. » (Jn 4, 13-14) Jésus veut faire passer la
Samaritaine à un autre niveau, à une faim, une soif spirituelles.
Ø Pourtant, celui qui seul
peut combler la faim et la soif de l’être humain se fait mendiant de
l’homme, et lui demande à manger, à boire. Plus encore, dans le texte de
Mt 25 sur le jugement dernier, Jésus s’identifie à toute personne souffrant
la soif et la faim : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger, j’ai eu
soif et vous m’avez donné à boire… Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de
ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »
Ø Il y a dans l’être humain un manque,
une faim ou une soif, d’une nature particulière, que certains théologiens ont
nommé béance : La satisfaction d’un besoin, loin d’épuiser
le désir, suscite un nouveau désir. « L’horizon de la satiété s’élargit au
fur et à mesure que l’homme comble ses besoins » (J.-L. Bruguès, Précis de théologie morale
générale, 2, II, p. 40)
L’être humain reste toujours en soif d’un plus, et même, il faut le dire, en
soif d’infini. Rien de ce qui est fini,
limité, ne peut combler cette soif d’infini.
D’où cette affirmation bien connue de St Augustin : « Tu nous as faits pour toi
Seigneur, et notre cœur est sans repos
tant qu’il ne demeure en toi. »
Grâce –
Gratuité
Ø Le Seigneur se définit
lui-même dans l’AT comme le « Dieu de tendresse et de pitié – grâce
(hèsèd), lent à la colère, riche en miséricorde et fidélité » (Ex 34,
6)
Ø Vocabulaire de
théologie biblique (VTB) : « La grâce en Dieu est à la fois
miséricorde penchée sur la misère (hén), fidélité généreuse aux siens
(hèsèd), solidité inébranlable à ses engagements (èmèt), tendresse
du cœur et attachement de tout l’être envers ceux qu’il aime (rahamîm),
justice inépuisable (sedeq). » (513)
Ø Ps 36, 8 :
« Qu’elle est précieuse ta grâce, ô mon Dieu ! A l’ombre de tes ailes tu
abrites les hommes : ils savourent les festins de ta maison ; aux torrents du
paradis tu les abreuves. En toi est la source de la vie. Par ta lumière nous
voyons la lumière. »
Ø Ps 62, 4 : « Ta
grâce vaut mieux que la vie : tu seras la louange de mes lèvres. »
Ø Dans le NT, les lettres
de St Paul commencent pratiquement toutes par la salutation : « Grâce et
paix ! »
Ø La grâce (charis)
est « le don par excellence, celui qui résume toute l’action de Dieu
et tout ce que nous pouvons souhaiter à nos frères. » (VTB 515)
Ø 2 Co 8, 9 :
« Vous connaissez en effet la grâce (charis) de notre Seigneur
Jésus-Christ, lui qui, de riche qu’il était, pour vous s’est fait pauvre, afin
de vous enrichir par sa pauvreté. »
Ø Le carême, temps de grâce,
temps où Dieu fait grâce, et où il prend plaisir à faire grâce. Que nous
accueillions l’exhortation de St Paul : « Puisque nous sommes les
collaborateurs de Dieu, nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la
grâce de Dieu. Il dit en effet : Au moment favorable, je t’ai exaucé, au
jour du salut, je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le
voici maintenant le jour du salut. (…) Nous nous recommandons en tout comme des
ministres de Dieu : par une grande constance dans les tribulations, dans les
détresses, dans les angoisses, sous les coups, dans les prisons, dans les
désordres, dans les fatigues, dans les veilles, dans les jeûnes ; par la pureté,
par la science, par la patience, par la bonté, par un esprit saint, par une
charité sans feinte, par la parole de vérité, par la puissance de Dieu » ( 2
Co 6, 1s)
Ø Une autre exhortation
de St Paul, en lien avec la grâce : 1 Tm 1, 6 : « Je te rappelle de
raviver la grâce de Dieu qui est en toi depuis que je t’ai imposé les
mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit
de force, d’amour et de maîtrise de soi. N’aie donc pas honte de rendre
témoignage à notre Seigneur. (…) Mais souffre avec moi pour l’Évangile, comptant
sur la puissance de Dieu, qui nous a sauvés et appelés par un saint appel, non
en vertu de nos œuvres, mais en vertu de son propre dessein et de sa
grâce. »
Humilité
Ø Humilité vient du latin
humilis, qui signifie bas, près de la terre. De cette racine vient
aussi le mot humus. L’humus est à la fois une réalité négative et positive :
négative, parce qu’il est composé de la mort de nombreux éléments
végétaux. Mais positive, parce qu’il est une merveilleuse source de
croissance pour les plantes. Il est le résultat d’une transformation.
L’humilité, dans notre existence, est le terreau dans lequel la vie peut germer
et croître.
Ø Dt 8 : « Souviens-toi de tout le chemin que le
Seigneur ton Dieu t’a fait faire pendant quarante ans dans le désert, afin de
t’humilier, de t’éprouver et de connaître le fond de ton cœur :
allais-tu garder ou pas ses commandements ? Il t’a fait sentir la faim,
il t’a donné manger la manne que ni toi ni tes pères n’aviez connue, pour te
montrer que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui sort de la
bouche de Dieu. »
T’humilier :
te rendre
humble, connaître le fond de ton cœur, te ramener à ta vérité.
Thérèse de Lisieux
disait : « L’humilité,
c’est la vérité ». L’humilité, ce n’est pas être autre chose que ce que l’on
est profondément, en toute vérité. Parfois, l’humiliation, l’épreuve est
nécessaire pour être ramené à cette vérité. L’humilité est cette attitude
intérieure par laquelle nous nous accueillons nous-mêmes en totalité et en toute
vérité.
Ø Dans
la Bible, l’humiliation est souvent la porte d’entrée de la conversion : Ps
118, 67 :
« Avant d’être humilié, je m’égarais,
maintenant, j’observe ta promesse. »
2 Ch 6, 26 : « Quand le
ciel se sera fermé et qu’il n’a aura pas de pluie parce qu’ils auront péché contre toi, s’ils
prient en ce lieu, louent ton Nom, se repentent de leur péché parce que tu
les auras humilié, toi écoute du ciel, pardonne le péché de tes
serviteurs… »
Ø L’humilité est la
caractéristique du Petit reste qui subsistera lors du Jour du Seigneur : Ce
petit reste sera « humble et pauvre. »
Ø Selon le prophète
Zacharie, le Messie sera un roi humle : il entrera à Sion, monté sur un
ânon.
Ø Jésus est le Messie des
humbles. Il est le maître doux et humble de cœur, qui s’humilie jusqu’à
laver les pieds de ses disciples.
Ø Exhortation de St
Paul : Ep 4, 2 : « En toute humilité, douceur et patience, supportez-vous
les uns les autres avec charité. »
Ø Exhortation de St
Pierre : 1 Pi 5, 5 : « Revêtez-vous d’humilité dans vos rapports les uns
avec les autres, car Dieu résiste aux orgueilleux, mais c’est aux humbles qu’il
donne sa grâce. »
Ø Selon St Augustin,
il y a un lien entre la charité et l’humilité : « Là où est l’humilité, là
est la charité. »
Texte C. Singer : L’amour
dans l’humus :
« Être humble, trouver sa joie à
être de la terre et la rendre belle, car l’humus, le sol est le lieu d’origine
et puisque là est située la place donnée par Dieu,
Être humble, transformer la
terre par la miséricorde (par l’humus) et non par la puissance du pouvoir écrasant, (…)
Être humble, parier sur la
douceur, être sûr que la graine disparue en terre surgira lentement en arbre de
vie et qu’aucune domination ne pourra s’y opposer,
(Être humble,) avoir confiance en chaque amour
humain simplement donné et reçu, car il possède l’incroyable puissance de
décrocher la terre de son engrenage de haine, de violence et d’égoïsme, pour la
faire rouler dans le lumineux sillage où elle revêtira son beau visage
d’humanité et de divinité aussi,
Être humble, (…) Dieu trouve sa joie à être de la
terre. Il vient comme un humble. L’humilité devient le signe de
Dieu. »
Idole
Ø VTB 559 : « La
Bible est, en un sens, l’histoire du peuple de Dieu qui s’arrache aux
idoles. » Un peuple sans cesse guetté par l’idolâtrie et que Dieu doit
constamment arracher aux idoles.
Ø Dans le Décalogue,
il était demandé aux Israélites de ne pas faire d’images de Dieu, justement pour
lutter contre l’idôlatrie, et éviter de créer un Dieu selon notre
convenance.
Ø Il faut se rappeler que
Jésus, lorsqu’il fut tenté au désert, passa par les trois grandes
tentations auxquelles le peuple de Dieu a succombé lors de sa longue marche à
travers le désert pendant 40 ans. La 3ème tentation était
précisément celle de l’idolâtrie. De façon explicite, mais dans les 2 autres
tentations, l’idolâtrie est sous-jacente : changer les pierres en pain, pour ses
seuls propres intérêts ; se jeter en bas du temple, juste pour épater la
galerie, pour se manifester comme un Messie prestigieux, triomphant : dans les
deux cas, l’image de Dieu sous-jacente est caricaturale, idolâtrique ; ce n’est
pas le visage de Dieu qui se révélera à travers la vie de Jésus.
Ø La tentation de
l’idolâtrie, est peut-être la tentation la plus constante dans l’histoire du
Peuple de Dieu, dans notre histoire. Nous avons toujours tendance à nous
façonner un Dieu qui est la projection de nos besoins, de nos désirs et de nos
attentes. L’image de Dieu idéalisée que nous nous sommes construite.
Ø Quand Freud et Marx
dénonçaient Dieu comme une projection du désir de l’homme, ils n’avaient pas
tout à fait tort. Ils parlaient d’expérience, et je pense que pour une bonne
partie des chrétiens, c’est le cas, du moins en partie. Je pense qu’au début de
la vie spirituelle, tout comme au début de tout chemin d’amour, Dieu, la
personne que j’aime, est un peu idéalisée, et ce n’est pas vraiment Dieu ou
l’autre que j’aime, mais l’image idéalisée que je me suis faite de lui.
Ø Et l’épreuve du
désert, la nuit de la foi vient justement purifier cette image de
Dieu idéalisée. Cette purification fait de plus en plus passer de l’idole au
vrai Dieu.
Ø Le temps du carême
est aussi un temps privilégié pour purifier cette image de Dieu, pour
démasquer les idoles et s’attacher au vrai Dieu.
Jeûne
Ø Le jeûne est, avec
l’aumône et la prière, un des 3 piliers du carême.
Ø Petit Robert :
« Jeûner : se priver volontairement de toute nourriture ou en être privé.
» Pris dans ce sens, les historiens des religions nous disent que la
pratique du jeûne se retrouve dans pratiquement toutes les religions et toutes
les cultures. Notre culture est pratiquement la seule qui ne la prise guère. Et
je ne pense pas que cela lui soit bénéfique.
Ø Le jeûne est un élément
structurant d’une hygiène de vie : renoncer à des choses bonnes pour
choisir des meilleures ; établir une hiérarchie des valeurs, des biens et des
priorités. On peut constater qu’une vigne non taillée s’étouffe et ne
peut pas porter du fruit. Notre vie, aussi bien biologique, psychologique que
spirituelle a besoin d’être taillée, sous peine d’étouffement.
Ø On peut rappeler les
trois jeûnes de 40 jours de Moïse, Élie et Jésus, au début de son ministère.
Dans les trois cas, c’est pour accueillir l’action de Dieu et s’ouvrir à sa
présence.
Ø Jésus n’a pas disqualifié la pratique du jeûne,
puisqu’il l’a pratiqué lui-même.
Face au cas d’un épileptique que les disciples n’avaient pas réussi à guérir,
Jésus a dit que ce type de démon ne s’expulse que par le jeûne et la
prière. (Mt 17, 21) Il a seulement
relativisée cette pratique, remise à sa juste place : elle doit toujours être
orientée vers l’amour fraternel.
Ø Is 58 dénonce une
pratique du jeûne coupée de l’amour fraternel et de la justice : « Au
jour où vous jeûnez, vous traitez les affaires, et vous opprimez tous vos
ouvriers. Vous jeûnez pour vous livrer aux querelles et aux disputes, pour
frapper du poing méchamment. Vous ne jeûnerez pas comme aujourd’hui si vous
voulez faire entendre votre voix là-haut. (…) N’est-ce pas plutôt ceci le jeûne
que je préfère : défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug,
renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager
ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un
homme nu le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair ? »
Le même passage d’Isaïe décrit
les effet du jeûne lorsqu’il est vécu correctement : « Alors ta lumière
éclatera comme l’aurore, ta blessure se guérira rapidement, ta justice marchera
devant toi, et la gloire du Seigneur te suivra (…) Ta lumière se lèvera dans les
ténèbres, et l’obscurité sera pour toi comme le milieu du jour. Le Seigneur sans
cesse te conduira, il te rassasiera dans les lieux arides, il donnera la vigueur
à tes os, et tu seras comme un jardin arrosé, comme une source jaillissante dont
les eaux ne tarissent pas. »
Maret Michel, Communauté du Cénacle au Pré-de-Sauges
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